Un autre point de vue d’expert, avec 2 nouvelles notions (traçabilité et impact positif)

Ce mois-ci, nous avons rencontré Sébastien Tissot (ST). Sébastien a travaillé pendant 17 ans chez Firmenich, où il a eu l’opportunité de gérer tous les aspects des achats responsables, des fournisseurs aux clients, des agriculteurs aux produits finaux, et donc la traçabilité de la chaîne.

Au-delà de la dimension responsable, Sébastien est animé par l’impact positif des chaînes de valeur. Il a d’ailleurs lancé il y a 3 mois sa marque de parfum à impact positif et œuvre à partager ses connaissances en la matière, notamment en tant qu’intervenant auprès de la HES-SO.

Et voici ses enseignements :

  • Quelle est ta définition de la supply chain responsable ?

ST : « On peut parler de responsabilité quand on va au-delà de la simple conformité, que ce soit pour les achats, pour les approvisionnements ou pour la supply chain en général.

C’est une action volontaire qui couvre les 3 dimensions du développement durable (à savoir économique, environnementale et sociale).

Les entreprises cherchent à diminuer leurs risques (y compris les risques réputationnels principalement liés à des sujets sociaux et/ou environnementaux) et mettent en place une diligence raisonnable (par exemple la sécurité alimentaire) et un monitoring de la situation, au minimum sur leur footprint.

L’impact positif va au-delà avec la recherche de la neutralité le long de la chaîne, c’est la recherche de la positivité (par opposition aux impacts négatifs) partielle ou totale. Comme il est plus dur de rétrofitter l’existant, il est important de partir d’une page blanche et de faire juste du premier coup.

Mais chacun doit trouver sa voie.

Par exemple, la bouteille en verre de mon parfum Nissaba est la bouteille en verre la plus fine du marché. Nous avons également lancé dès le départ une stratégie de refill. »

  • Quel est le rapport entre supply chain responsable et traçabilité ?

ST : « La traçabilité est indispensable à la supply chain responsable. Comment garantir la responsabilité sans traçabilité ? Comment protéger la réputation de l’entreprise et la marque ? Il faut savoir ce qui se passe avant nos fournisseurs directs ! C’est logique ! N’importe qui de censé le sait.

Par exemple, lors de l’effondrement de l’usine de textile au Bangladesh en 2013, causant plus de 1’000 morts, comment savoir si notre marque va être impactée si nous sommes aveugles au-delà de nos fournisseurs de rang 1 ? »

La notion de traçabilité est fortement corrélée à celle de cartographie dynamique de la chaîne de valeur, c’est-à-dire tous les flux interconnectés (qu’ils soient physiques, financiers et/ou d’informations) pour répertorier qui fait quoi, où, comment, pourquoi et pour combien. Procéder à un état des lieux régulier (car les choses évoluent) de la chaîne d’approvisionnement est indispensable pour identifier les risques à 360 degrés et donc prendre les bonnes décisions par la suite.

ST : « Évidemment, cette activité est chronophage : il faut donc choisir sur quels matériaux la traçabilité est requise, et ainsi choisir ses batailles. Tout dépendra de l’industrie et du niveau de risque toléré (alimentaire, textile, cacao, minéraux…).»

  • Comment passer de la théorie à la pratique ?

ST : « Tout d’abord, il faut s’aligner en interne sur le pourquoi, s’assurer du sponsorship du PDG et faire les arbitrages nécessaires, notamment une ligne directrice claire en matière de prix / durabilité.

La communication transversale en interne est également primordiale, sur toutes les dimensions travaillées.

Ensuite, les différents projets mandatés par la Direction doivent avoir un leader. Par exemple, le Directeur des Achats prend les rênes pour les achats responsables, mais les RH, la communication… ont aussi un rôle clé à jouer. Il est recommandé de choisir les leaders les plus proches possibles du terrain et de ses réalités.

Après, il faut structurer les équipes en fonction des projets, par exemple au niveau des achats et de la supply chain. L’organisation doit être adaptée, les rôles clairs, ainsi que les indicateurs de performance pour toutes les personnes impliquées.

On peut citer la disponibilité, la qualité et le prix comme indicateurs traditionnels des achats, mais aussi la RSE. Cela permet d’éviter qu’un seul acteur passe son temps à courir après les autres. On peut notamment mentionner les labels mis en avant par certains fournisseurs comme exemples de KPIs à atteindre mais tout dépend de ce que l’on achète et de ce que l’on recherche : FairTrade (pour un montant des transactions équitable), Rainforest Alliance ou Fair for Life (plus de critères mais plus lourds). Cependant, ces labels ne sont pas des garanties absolues…

Les politiques internes et autres procédures pour formaliser le sourcing responsable sont une étape incontournable, afin d’établir qui est responsable de quoi, quand, qui décide, quels sont les risques identifiés et les solutions envisagées…

Bien entendu, ces documents, tout comme le code éthique ou de conduite de business, doivent être avalisés et approuvés par la Direction de l’entreprise.

Enfin, il faut se lancer dans l’action avec les fournisseurs, avec une approche segmentée selon le profil risque de chacun (en fonction du pays, des produits, des activités…).

Outre une qualification à l’entrée du panel fournisseurs et un contrat signé avec l’entreprise, des audits réguliers (effectués par des externes pour ne pas altérer la relation) sont nécessaires pour mesurer la performance et son évolution, motivée par des incitations financières ou autres.

La relation fournisseur prend également une tout autre dimension car on partage les meilleures pratiques afin d’aider les fournisseurs à nous aider. »

  • Pourquoi passer de la théorie à la pratique ?

ST : « Tout d’abord afin de gérer les risques à impacts légaux, mais aussi les risques à impacts réputationnels qui pourraient mettre la marque en danger.

Également afin de créer un cercle vertueux avec nos fournisseurs, pour gagner plus de parts de marché, pour lancer plus d’innovations… pour un impact positif. »

Merci à Sébastien d’avoir partagé son vécu avec nous. A bientôt pour un nouvel article !

Katia Gutknecht

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